La Brume de l'oubli - 1er extrait
"La Brume de l'oubli", de Bloodwitch Luz Oscuria |
– Les mains en l’air !
Mon sang ne fait qu’un tour dans mon enveloppe corporelle. Cette voix si froide, si grave, si… Tant de choses se bousculent dans ma tête à cet instant. Je crois que j’ai conscience de ce qui arrive, pourtant je me demande…
– J’ai dit les mains en l’air !
La voix n’était déjà pas calme lors de son premier retentissement. A présent l’effroi s’empare de moi. Ce qui m’entoure est réel, je reconnais les lieux, tandis que mes yeux viennent de se fermer. La peur, sans doute.
– Je vais tirer !
– Non !
Mes mains se lèvent. Le geste est si mécanique que je ne suis pas certaine de l’avoir effectué. Le silence m’entoure alors. Je ne vois rien, je n’entends rien non plus. Il me semble que je suis dans une supérette.
– La caisse !
Un bruit de tiroir parvient à mes oreilles. L’hôtesse de caisse laisse s’échapper un petit cri. Puis j’entends l’agresseur charger son arme. Il va tirer, c’est sûr. Qui qu’il soit, et quoi qu’il veuille, il va y avoir une victime.
Je m’appelle Catherine, j’ai 35 ans. J’étais en train de faire mes courses afin de pouvoir remplir mon estomac, mais aussi celui de mon fils, William. Il a 5 ans, et il m’attend patiemment chez Claire, sa gentille nounou à qui je l’ai confié ce matin avant de partir au travail. C’est elle qui l’a emmené à l’école, comme tous les jours du lundi au vendredi. Et c’est elle qui l’a récupéré après l’école, lui a donné son goûter, a joué avec lui… Ce que n’importe quelle maman aimerait beaucoup faire en compagnie de son enfant. Seulement voilà, j’ai un poste, à la rémunération plutôt confortable il faut le dire, dans une société de prêts affiliée à une banque très connue. Je suis riche, j’habite un bel appartement en plein cœur de Paris, à moi. Les sacrifices payent.
– Dépêche !
Le retour à la réalité est si rude que mes yeux se rouvrent. Et je vois enfin ce qu’ils refusaient de me montrer. Un homme cagoulé, entièrement de noir vêtu, braquant la pauvre hôtesse de caisse paniquée à la tempe, tandis qu’elle vide sa caisse dans le sac qu’il lui tend, impatient.
Je devrais m’enfuir. Et vite. Cependant, il m’est impossible de bouger. Je suis toujours les mains en l’air, et je ne sais même pas pourquoi. Mon regard reste porté sur cet homme, dont il serait parfaitement impossible pour qui que ce soit d’en donner le moindre élément de description. Il semble mince, et il est élancé. De là où je me trouve, je ne puis rien voir d’autre. Rien ne le distinguerait de quiconque. Si ce n’est son accent quand il menace l’hôtesse de caisse. On dirait qu’il tente de camoufler maladroitement sa voix, s’inventer un ton qu’il n’a pas. Peut-être dans le but ne pas être reconnu ? C’est sans doute ce que j’aurais également fait, si…
Mais je ne suis pas une criminelle, moi ! Je suis une honnête mère de famille ! J’ai un travail, bien payé de surcroît, j’ai un fils que j’aime infiniment, j’ai une nounou en or qui s’occupe de lui comme s’il avait été son propre fils, j’ai… Tant de choses. Et rien à la fois.
Le père de mon fils ? Je ne sais pas. Cet homme a disparu de ma vie avant que William ne voie le jour. C’est ce qui arrive quand on ne choisit pas la bonne personne pour fonder une famille. Et non, cela n’arrive pas qu’aux autres, moi aussi je suis passée par là. Moi aussi j’ai rencontré mon lot d’épreuves, de joies et de peines. En principe, ce sont surtout ces dernières que l’on retient. Le positif, je ne sais trop où il est parti. Il est complètement enterré, dans les abysses de mes souvenirs. Si loin que je ne me souviens pratiquement de rien. Tout est flou, rien n’est clair.
C’est pour cette raison que je suis suivie. Chaque semaine, je dois aller voir le docteur Tullier, pendant une bonne heure à chaque consultation. Un brave homme, qui parvient je ne sais comment à embrasser la souffrance des gens sans sourciller, et qui est toujours de bon conseil.
– Pan !
Puis le silence. Il a tiré. Tout est allé si vite qu’il n’y a plus personne quand je me décide à regarder en direction de la caisse. Où est-il ? Et elle, l’hôtesse de caisse, où est-elle ?
Je suis tétanisée à cet instant précis. J’ai très peur de ce que je vais découvrir en m’approchant de la caisse. Car je sais très bien ce que je vais y voir. Une mare de sang au sol. Et l’hôtesse qui va baigner dedans. Où donc s’est logée la balle qu’elle vient de se prendre ?
Mon caddie attendra, mes pieds me dirigent vers la scène du crime sans que je puisse résister. Et au bout de ces quelques mètres qui me séparent de ce qui obnubile expressément mes pensées, je vois. Exactement ce que j’imaginais quelques secondes plus tôt. J’ai l’impression d’avoir déjà vécu ça. Mais quand ? Dans quelles circonstances au juste ? Impossible de me souvenir, ces images me paraissent lointaines tout à coup. Comme la plupart, pour être honnête.
Le silence a repris possession des lieux. Il me semble que je suis seule. Il n’y avait déjà personne au moment où j’ai fait mon entrée triomphale, avec mon caddie en fin de vie aux roues si usées qu’elles grincent toutes les unes en chœur après les autres. A présent, cette solitude me gêne. Enfin, je crois qu’elle me gêne. Je ne sais pas, c’est une sensation étrange qui s’empare de moi et j’ignore comment l’interpréter.
* "La Brume de l'oubli" est disponible depuis le 15 août 2019.
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