"La Brume de l'oubli", de Bloodwitch Luz Oscuria |
Finalement, j’arrive devant mon bureau à 8 h 15. Et j’aperçois déjà le responsable de la boîte arriver à l’autre bout, saluant un à un tous ses employés. Il s’agit d’un open space sur plusieurs dizaines de mètres carrés, typique des grands bureaux parisiens. Nous sommes une vingtaine à travailler dans cet espace immense, chacun devant un grand bureau suffisamment éloigné des autres pour que nous puissions travailler en paix, mais aussi assez proche les uns des autres afin de pouvoir nous entendre en cas d’échange oral quelconque.
C’est à la fois plaisant, et désagréable. Le côté désagréable, c’est quand vous vous levez pour vous rendre aux toilettes par exemple. Tout le monde est au courant, parce que tout le monde vous voit y aller ! Je suis toujours ennuyée dès lors que mon tour d’avoir envie arrive. Je suis un être humain, ma vessie n’est pas sans fond, je suis obligée de la soulager de temps à autre. Tous ces yeux qui se posent sur moi dès que je lève une fesse de mon fauteuil, vraiment, ça me dérange. Beaucoup. Aussi, j’essaie de me diriger vers les toilettes le moins possible.
– Bonjour madame Labruges. Dites-moi, vous n’êtes pas revenue hier après-midi.
– En effet, monsieur le directeur. L’entretien a été long, je suis désolée.
J’ai répondu ainsi sous la panique. Mes mains se sont mises à trembler, et j’ai commencé à suer à grosses gouttes dès qu’il a ouvert la bouche. Alors c’est ainsi que l’on se sent, quand on est coupable de quelque chose. Comment se sent à l’heure actuelle le meurtrier d’avant-hier ? Est-ce qu’il se trouve aussi mal que je le suis en ce moment ? Est-ce qu’il a été attrapé par la police ? Je n’ai pas eu le temps de me renseigner à ce sujet, je n’ai pas regardé la télévision ni les actualités sur mon mobile. Je ne sais rien de ce qui a pu se passer dernièrement.
Et tout à coup, cela m’effraie. Car ce tueur, il m’a vu. Il sait qui je suis. Ou du moins, à quoi je ressemble. Peut-être qu’il me suit à la trace, où que j’aille, depuis lundi. Peut-être même qu’il sait ce que j’ai fait la nuit dernière, tandis que moi-même je suis incapable de m’en rappeler. Il sait sûrement des détails que j’ignore à mon propre sujet, j’en suis convaincue.
– Soit, si vous pouvez rattraper votre retard aujourd’hui, ce serait pas mal.
Mon supérieur vient de me sortir de ma torpeur. Comme d’habitude, il aura fallu que l’on me parle pour que je revienne à la réalité. Sans me laisser le temps de répondre, il passe déjà à ma collègue d’en face et lui serre une main sûre, ce à quoi elle répond par un sourire bête et un « Bonjour ! » on ne peut plus niais. Je ne la supporte pas. D’ailleurs, c’est simple, nous ne discutons jamais, car je crois qu’elle non plus ne me supporte pas. Nous venons de deux mondes différents, elle a une dizaine d’années de moins que moi, vit toujours chez ses parents, et a obtenu sa place ici grâce à l’un de ses oncles qui travaille dans cette entreprise.
Moi, j’ai pris mon envol depuis longtemps. Ma mère est décédée alors que je n’étais encore qu’une enfant. Quant à mon père, il a suivi le chemin de ma mère, cela remonte à maintenant quelques années. Il a connu William, mais mon fils n’était alors qu’un nourrisson quand il est parti.
William ! Je récupère rapidement mon mobile, me lève sans faire attention à tous les regards qui se dirigent vers moi, et je sors du bureau. Dans le couloir, je retrouve Claire dans ma liste de contacts, et je place immédiatement mon pouce sur son nom dès que je le vois. En l’entendant m’accueillir au bout du fil sans aucune appréhension, je comprends que Julien a dû être très rassurant la veille, lorsqu’il lui a parlé.
Je la rassure quant au fait que je viendrai récupérer mon fils après mon rendez-vous avec le docteur Tullier, comme d’habitude, aux alentours de 20 h 30. Le mercredi, c’est le seul jour de la semaine où je n’ai pas le droit de faire n’importe quoi. Même si je dois admettre que j’ai déjà dérogé à cette règle, un bon nombre de fois de surcroît.
Mon emploi du temps va être sacrément chargé aujourd’hui, entre mon retard d’hier et mon rendez-vous de ce soir. Et Julien qui m’a demandé de le rappeler également après le travail. Cela fait beaucoup pour une journée. Je retourne à mon bureau, où mes yeux se posent immédiatement sur la pile de dossiers qui y trône fièrement. Je me sens agressée par ces papiers, de toutes les couleurs, dont certains dépassent un peu de l’ensemble.
Un soupir s’échappe de ma bouche. Je croise le regard de ma collègue d’en face, qui se met à ricaner doucement en voyant mon désarroi. Je lui mettrais bien mon poing dans la figure, sauf que ça ne se fait pas, surtout pas devant autant de témoins. Je m’attirerais forcément des problèmes. En revanche, si je la croisais au détour d’une ruelle sombre, ce serait une autre histoire.
On ne peut pas dire que je sois une personne très calme. En effet, il peut m’arriver d’avoir des pensées extrêmement violentes, notamment lorsque je pense à quelqu’un que je ne supporte pas. Et cette collègue, je ne peux absolument pas l’encadrer. Tout me déplaît chez elle et ne m’inspire rien d’autre que du mépris. Elle semble toujours être en train d’épier chacun de mes faits et gestes. Je suis certaine qu’elle sert de commère au patron. Je suis convaincue que quand elle discute avec lui, elle parle dans mon dos. Elle lui raconte toutes mes casseroles, aussi rares soient-elles, j’en mettrais ma main au feu.
* "La Brume de l'oubli" est disponible depuis le 15 août 2019.
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