Giuseppe Belvedere |
Hier matin, je recevais un livre dont je connaissais l'existence depuis 2017, mais que j'hésitais énormément à commander car j'en savais déjà tellement sur son sujet que je pensais ne rien en apprendre de plus. Je l'ai finalement commandé il y a quelques jours, reçu hier matin, et en fin d'après-midi j'en avais déjà lu la moitié. Ce livre, c'est "Les Ailes du Paradis" de Marie-Simone Poublon. Elle l'a écrit avec le concours de son sujet qu'elle a laissé s'exprimer sur sa situation. Ce sujet, c'est Giuseppe Belvedere, un monsieur que je surnomme "le Monsieur des Pigeons" depuis une petite dizaine d'années que je connais son existence. Né le 13 février 1945 à Calabre en Italie, installé à Paris depuis plus de 40 ans et trader à la retraite, il avait un petit appartement dans le quartier Beaubourg dans le 4ème arrondissement. Le 7 septembre 2010, Giuseppe Belvedere a été obligé de quitter ce petit appartement, et s'est retrouvé à la rue avec pour seul abri sa vieille Mercedes bleue. Depuis ce jour, il n'a plus jamais quitté ce quartier, il refusait même de s'en éloigner, disant que ce serait donner raison à ceux qui l'ont expulsé. Et c'est dans ce quartier que son corps a été retrouvé le 12 janvier 2022 au soir, tandis que cela faisait 3 jours que plus personne ne le voyait plus.
Giuseppe Belvedere était un homme que tous les habitants de Beaubourg connaissaient. Il était connu pour être celui qui donnait à manger aux pigeons, une attraction pour certains, une belle âme pour d'autres, un virus à dégager du quartier pour une dernière catégorie. Cette dernière catégorie lui a fait vivre un véritable enfer (et je pèse mes mots) depuis qu'il a été mis à la porte de chez lui. Accusé de ne pas utiliser son petit appartement "en bon père de famille", on disait de lui qu'il nourrissait les oiseaux depuis chez lui, et il a été porté pour responsable de la saleté causée par les pigeons sur la façade de sa résidence, on l'a même accusé de l'insalubrité (jamais vérifiée !) de son appartement. Dans la réalité, il ne nourrissait pas les oiseaux depuis chez lui, et on sent que beaucoup des témoignages étaient fallacieux. La réalité, c'est que ce monsieur vivait dans un appartement extrêmement bien placé, pour un loyer extrêmement bas. Ce genre d'appartement à Paris est particulièrement prisé, et on imagine aisément que c'est surtout ce détail qui a engendré tout ce qui est arrivé à cet homme.
Avec le temps, on lui a pris sa Mercedes bleue, seule chose qui lui restait, et un collectif s'est créé afin de lui permettre de s'abriter dans une camionnette. Année après année, cette camionnette a tout subi, des tags à la crevaison des pneus en passant par la mort-aux-rats déposée dans le caniveau contre lequel elle était garée, et des corps de pigeons morts aux fientes humaines. Elle a vraiment tout subi. Et c'est dans cette même camionnette que Giuseppe Belvedere, le Monsieur des Pigeons, a été retrouvé éteint le 12 janvier 2022 au soir.
J'ai connu l'existence de ce monsieur aux alentours de 2013. Je l'avais déjà croisé à plusieurs reprises auparavant, sans savoir qui il était, sans connaître les raisons pour lesquelles il était là et qu'il nourrissait les pigeons. Il faut dire qu'en arrivant au centre Georges Pompidou, au cœur de Paris, on ne pouvait que difficilement rater le nuage de pigeons qui se ruait sur ce monsieur qui traînait son chariot derrière lui. Ce monsieur, c'était Giuseppe Belvedere. Avec les années, j'ai oublié comment j'ai découvert le collectif qui s'est monté autour de lui pour l'aider, toujours est-il que j'ai reconnu ce monsieur sur les photos, et à force de lire ce qui lui arrivait, j'ai fini par le rejoindre via son groupe Facebook. A cette époque, il s'agissait du groupe "Les amis de Giuseppe". Et j'ai suivi ses actualités à chaque fois que quelque chose s'y publiait, ne pouvant pas faire plus, ayant déménagé loin. J'y ai découvert un homme d'une grande humanité, un homme qui méritait que l'on s'y intéresse.
Puis, un jour, l'activité de ce groupe s'est arrêtée, je me suis inquiétée et ce n'est que plusieurs semaines après que j'en ai découvert un autre nommé "Action de TOUS pour Giuseppe". Je l'ai rejoint également, et j'ai continué de suivre ce qui arrivait à ce monsieur, soulagée de constater qu'il était toujours debout, mais souvent avec le plus profond des dégoûts pour ce que je découvrais. J'y ai vu tellement de choses, et j'ai du coup pris conscience jusqu'à quel point l'être humain peut être abject... Son agression à la tête par un chien, la nouvelle qu'il avait développé une septicémie, les lasers envoyés par des riverains dans ses yeux qui ont drastiquement baissé sa vue, les courriers d'amende, les pneus crevés puis changés, les menaces, les pétitions pour ou contre lui, les vidéos YouTube dans lesquelles on pouvait écouter ce qu'il avait à dire. Parce qu'il en avait, des choses à dire, Giuseppe. Il était d'une grande intelligence et d'une grande culture. Mais ça, ses détracteurs ne le voyaient pas. Ils voyaient en lui juste un emmerdeur et un empêcheur de tourner en rond, quelqu'un qui donnait à manger à des nuisibles. Je ne doute pas qu'aujourd'hui, ils doivent être satisfaits de savoir qu'il n'est plus là. J'en suis écœurée. Mais je ne peux rien y changer. Giuseppe Belvedere aura été l'homme par qui on aura pu voir au grand jour les plus mauvaises comme les meilleures des personnes.
Giuseppe Belvedere nourrissait les pigeons à Beaubourg non pas pour ennuyer les gens. Il le faisait par amour des oiseaux, mais aussi et surtout parce qu'il a été témoin d'un véritable massacre de ces mêmes oiseaux par les services sanitaires de la mairie du 4ème arrondissement, qui lui a laissé un arrière-goût terriblement amer. Il ne faut pas oublier ce que les pigeons ont pu faire pour le peuple français, notamment pendant la première guerre mondiale. Mais beaucoup l'oublient. Beaucoup ne pensent qu'au fait qu'ils défèquent partout, qu'ils se multiplient autant si ce n'est plus que les rats, qu'ils sont les meilleures preuves de la saleté à Paris. Ils oublient que Paris, aujourd'hui, ce n'est pas la crotte de pigeon qui la définissent. Paris, aujourd'hui, ce sont les chewing-gums, les papiers, les emballages divers, les poubelles même parfois... Mais les détracteurs de Giuseppe, ils ne voient pas cela. Ils ne voient qu'un emmerdeur. Un emmerdeur qui n'est plus, aujourd'hui.
Pour ma part, je suis d'une grande tristesse depuis hier soir que nous avons tous appris son sort. J'en ai pleuré, beaucoup. J'en ai pleuré, parce que le Monsieur des Pigeons n'est plus, mais j'en ai surtout pleuré parce qu'il n'a pas obtenu ce pour quoi il se battait. Il ne se battait pas que pour les pigeons. Il se battait aussi pour que les personnes responsables de sa mise à la rue paient ce qu'ils lui ont fait. Il se battait aussi pour l'installation d'un pigeonnier contraceptif, qui aurait permis la régulation des pigeons à Paris, et qui en plus avait été acceptée sans qu'elle ne se fasse. Il ne souhaitait pas la prolifération de ces oiseaux, contrairement à ce que beaucoup de ses détracteurs devaient penser. Non, ce n'était pas ce qu'il voulait.
L'histoire de Giuseppe Belvedere, il fallait qu'elle circule. Aussi, et parce que j'en avais l'occasion, j'ai évoqué le Monsieur des Pigeons dans l'un de mes romans, "La Brume de l'oubli", publié en 2019. Ce passage, je l'ai choisi pour constituer l'un des trois extraits que je souhaitais proposer à mes lecteurs ici-même, sur l'Antre de Bloodwitch. Cet extrait, il est dans cet article. L'histoire de Giuseppe a intéressé beaucoup de personnes qui ont voulu la faire connaître au plus grand nombre, soit par des articles, soit par des pétitions, soit autrement. Parmi elles, Diane R. qui a réalisé en 2013 un petit film envoyé sur YouTube nommé "Les anges ne meurent pas", un film dans lequel la parole est donnée à Giuseppe lui-même. Il y explique ce qui lui est arrivé, les tenants et les aboutissants, les raisons pour lesquelles il a fait le choix de rester sur Beaubourg et de refuser un logement social qui lui a pourtant été proposé. Voici ce petit film :
Je terminerai cet hommage en remerciant tout d'abord Giuseppe Belvedere lui-même, pour le sacrifice qu'il a fait, pour ne jamais avoir plié, pour être resté droit dans ses idées malgré les épreuves qu'il a traversées, pour n'avoir jamais changé de discours. Merci à lui d'avoir prouvé que l'être humain n'est peut-être finalement pas une race complètement perdue, qu'il existe encore des exceptions. Merci à lui d'avoir tenu jusqu'au bout. Et merci à toutes les personnes qui ont agi pour l'aider contre vents et marées, de lui avoir permis de continuer son combat, d'avoir un camion qui lui aura permis de s'abriter et de soigner ses protégés, de l'avoir soutenu de près, et de lui avoir permis de s'exprimer à travers différents supports. Mes pensées, depuis hier soir, vont autant vers lui que vers ses aidants.
NB : Je me suis permise d'emprunter l'ensemble des photos qui illustrent cet article aux groupes "Les amis de Giuseppe (2)" et "Action de TOUS pour Giuseppe", j'espère que personne n'y verra d'inconvénient. N'hésitez pas à m'informer du nom des photographes concernés si vous désirez qu'ils soient inscrits. Ou à me faire la demande si vous souhaitez la suppression de l'une d'elles, je comprendrais même si je trouverais cela dommage.
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